« En cette période estivale, L’Œil Sourd, collectif de renom aux multiples ressources et divers attributs vous propose ce cybercarnet. Véritable outil de propagande contemporaine, le blog est effectivement un moyen des plus sûrs pour parvenir à nouer un semblant de contact avec une audience peu regardante. Toujours est-il, L’Œil Sourd, habituellement voué à l’édition discographique, aux représentations auditives, s’adonne à la composition de ce journal de bord promis à une rapide autodestruction (ou presque). »

samedi 23 juillet 2011

>>> Sémiologie de L'Œil Sourd - Une analyse du logotype

Chers amis, si vous lisez ces lignes, c'est que vous êtes à coup sûr victimes de notre propagande agressive réalisée à coup de chantage affectif et d'incentives grossières. Il est aujourd'hui encore question de L'Œil Sourd et de lui seul, à travers l'analyse de son logotype. Par une approche des plus rigoureuses, nous tenterons de comprendre son langage, de décomposer sa grammaire et sa rhétorique, de déceler ses messages implicites, de mettre au jour sa charge symbolique et de rechercher sa nature archétypique. 

Fig 1. Le logotype, signe de L'Œil Sourd

Un signe est une trace matérielle, un signifiant (le mot chien, une croix...), auquel est associé une représentation mentale d'un concept exprimé par le signe, un signifié (l'idée de chien, la mort...). Signifié et signifiant sont les deux faces complémentaires composant le signe. L'analyse de l'image consiste, elle, en l'étude des signes qui composent une image et qui s'articulent entre eux pour produire des messages, une narration, dans un langage propre : celui de l'image. Ces éléments sont de trois natures : iconiques (les objets du monde représentés: une maison, un œil...), plastiques (les couleurs, les formes, la texture) et linguistiques (le texte). Ils possèdent chacun un signifié et un signifiant. Voilà pour cette rapide introduction à la sémiologie (théorie générale ou science des signes). Revenons maintenant à ce qui nous préoccupe ici, à savoir une analyse et une interprétation originale du logotype de L'Œil Sourd, où nous étudierons les éléments principaux qui le compose: le dodécagramme chromatique et la maison de l'œil qui voit tout.

Fig 2. Signe = Signifié / Signifiant
Le dodécagramme, ou étoile à douze branches, est une figure géométrique peu commune et complexe. Il existe trois configurations régulières de dodécagrammes (qu'on appelle stellations). Celui du logotype est formé de quatre triangles équilatéraux, soit la superposition de deux hexagrammes - ou étoiles de David. Dans la symbolique, tous ces éléments sont capitaux et prennent dans notre cas une résonance particulièrement mystique. Tout d'abord, nous observons une forte relation entre les chiffres 4 et 3. Pour Carl Gustav Jung, le chiffre 4 est un archétype puissant symbolisant la totalité du Soi et de la psyché humaine; dont on retrouve par ailleurs l'expression dans la forme du mandala, autre symbole du Soi. La trinité exprimée par l'équilatéralité du triangle possède elle aussi une grande puissance symbolique qu'on retrouve notamment dans les mystiques chrétiennes (le Père, le Fils et le Saint- Esprit) et franc-maçonniques. Enfin, trois par quatre font douze -soit le nombre de sommets du dodécagramme. Le nombre douze est lui aussi très récurrent dans plusieurs conceptions structurelles, mythologiques et magiques : les douze mois de l'année, les douze heures du jour et de la nuit, les douze signes des zodiaques chinois et occidental, les douze apôtres de Jésus de Nazareth, les douze étoiles ou vertus de la vierge Marie - qu'on retrouve sur le drapeau européen, les douze pieds d'un alexandrin, etc. L'hexagramme étoilé, qui apparaît dans l'étoile de David ou dans le sceau de Salomon, serait lui le symbole du Monde, du macrocosme, par opposition au pentagramme, symbole du microcosme et de l'Homme avec sa tête et ses quatre membres.





Fig 3. Figures géométriques

Le dodécagramme chromatique répartit lui les couleurs primaires, secondaires et tertiaires en segmentant et ordonnant le spectre de la lumière visible. Le noir #000000 et le blanc #ffffff hexadécimaux de l'oeil du logo traduisent eux la binarité entre absence et présence de lumière; rappelant au passage l'opposition d'œil et de sourd. L'œil placé au centre de la maison évoque lui le thème de l'œil de la Providence, de l'œil qui voit tout, représentation métonymique et indicielle d'un dieu omniscient et unique. Cet œil figure sur le Grand sceau des États-Unis, qu'on retrouve sur les billets américains, au dessus d'une pyramide inachevée.





Fig 4. Œil de la Providence représenté
 au dessus d'une maison traditionnelle
 égyptienne

Le thème de la pyramide, prise en tant qu'habitation (des morts comme dans l'Égypte antique), trouve son écho dans le logo de L'Œil Sourd à travers le motif de la maison. Dans la culture occidentale moderne, cette manière de schématiser une maison vue en coupe avec un toit pointu symbolise généralement la maison familiale. Sur la fig.5, on s'aperçoit que les maisons représentées avec un toit sont rattachées aux symboles de l'autorité (institutions) et la famille (maison avec garage). La relation de co-présence entre le toit et l'idée de la famille s'exprime également dans l'idéogramme chinois 家 semblant être coiffé d'un toit qui signifie à la fois maison et famille.

Fig 5. Symboles courants représentant
des constructions
Toutefois, notre maison présente une dernière particularité : sa cheminée. Dans une première conception, la cheminée est l'indice de l'âtre et du foyer avec lequel on se chauffe et se réchauffe. La cheminée est aussi l'indice des usines et de la production industrielle (voir fig.5). Ainsi la cheminée peut être vue comme le symbole de la manufacture et de l'effervescence créative. Dans une dimension plus spirituelle, la cheminée peut être perçue comme le passage de la vie à la mort, comme les cheminées des crématoriums ou encore les conduits des pyramides égyptiennes destinés à laisser s'échapper l'âme des défunts (voir ici).

Fig 6. Image d'Épinal

Fig 7. Chambre à gaz d'Auschwitz






L'Œil Sourd est donc cet oxymore sacré capable de percevoir toute la lumière mais dont l'ouïe fait défaut. Autiste et stérile, L'Œil Sourd est une tautologie cosmique : un canal unisensoriel. De par sa nature vectorielle et sa texture immatérielle, L'Œil Sourd échappe au toucher. Profondément iconodoule, L'Œil Sourd est un blasphème.


De notre correspondant au Caire, William Leymergie

BONUS

Fig 8. Crânes de cristal et dodécagramme
Fig 9. Gravure alchimiste. Œil concentrique au centre d'un hexagramme.
En latin, « l'esprit », le « corps » et « l'âme »
Fig 10. Zodiaque alchimique d'Oswald Wirth

7 commentaires:

  1. Mince, moi qui pensais que c'était inspiré des shuriken ninja ! Merci pour l'info.

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  2. William Leymergie est donc un membre de l'oeil sourd, JE LE SAVAIS :O

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  3. Mon Dieu, c'est esthétique !

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  4. Hmmm, des shuriken à l'effigie de l'œil sourd....

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  5. Oh ça m'a rappelé Barthes, tout ça, chouette.

    De tout ceci cependant je tire une incertitude pesante, une ambiguité permanente, une indécision parfaite quant à ce qu'est l'Oeil Sourd. L'Oeil Sourd peut être ceci, peut être cela, mais qu'est-il ? Personne ne sait. Je vais enquêter.

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  6. Oui, très juste ! Roland Barthes, Ferdinand de Saussure, Martine Joly et Carl Gutav Jung pour la bibliographie complète ;-)

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